Le travail de la vie de Jules Isaac
Dr. Petra Heldt, Jérusalem, Directrice de la Communauté œcuménique de recherche théologique en Israël.
Le coeur brisé par le meurtre de son épouse, Jules Isaac s’est accroché à ces mots.
(photo: Petra Heldt, privé)
Les recherches de Jules Isaac
Jules Isaac (1877-1963) était un historien français et Juif. L’affaire Dreyfuss (1894-1906) l’a motivé à rechercher les racines de l’antisémitisme. Il trouva que l’explication standard, soit: “les évangiles sont antisémites”, était fausse. Il constata que les commentaires du Nouveau Testament, conçus par des érudits catholiques et protestants, communiquaient une image faussée des relations de Jésus avec les Juifs.
Pendant des siècles, ces fausses interprétations ont été disséminées dans des livres, des notes en bas de page, lors de prédications, de leçons de catéchisme, à l’école du dimanche et lors de séminaires. Le professeur Isaac a démontré que ces oeuvres tendantieuses étaient responsables des attitudes et actions antisémites de Chrétiens. Ces écrits étaient la raison pour laquelle la Bible était devenue comme une caricature. Ce n’était pas la Chrétienté en tant que telle, que Jules Isaac reconnut comme antisémite, mais la manipulation irresponsable de la foi chrétienne au travers d’une idéologie arrogante, qui a généré de cruelles souffrances.
Jules et Laure Isaac continuèrent leur travail de recherche durant leur fuite, lorsqu’ ils se cachèrent dans des fermes ou des quartiers d’aide à Vichy/France. “ Je voyais mon travail comme une bataille pour Israel blessé et une fraternité contre la haine ” disait-il. ” J’avais un devoir à remplir. C’était une mission sainte. ”
Jésus et Israël
Le travail du professeur Jules Isaac “Jésus et Israël” parut en 1947, au moment où toute l’ampleur de l’holocauste fut mise à jour. L’effet du livre sur les laics et les théologiens fut important. Durant l’été 1947, le professeur veuf a rencontré des intellectuels juifs et chrétiens à qui il distribua un programme avec 18 points pour purifier la doctrine chrétienne sur les Juifs et le Judaïsme. En août 1947, la conférence internationale des Juifs et des Chrétiens à Seelisberg (Suisse centrale) a étudié ces recommadations. Après l’étude de l’origine de l’antisémitisme chrétien, la conférence a publié sa conclusion: les dix thèses de Seelisberg. Le document est une version raccourcie des 18 points de Jules Isaac. La simplicité et la clarté des thèses a pu montrer un chemin à des générations d’enseignants et professeurs jusqu’à nos jours.
Dix thèses de Seelisberg
Les dix thèses de Seelisberg sont partagés en 4 points à se rappeler et 6 points à éviter.
Points à se rappeler:
- Le même Dieu parle dans l’Ancien Testament comme dans le Nouveau Testament.
- Jésus est né d’une mère juive, descendante de la famille de David. Son amour et son pardon sont destinés à son peuple d’Israël comme au monde entier.
- Les premiers disciples, apôtres et martyres étaient Juifs.
- Le commandement chrétien d’aimer Dieu et son prochain vient de l’Ancien Testament et est confirmé par Jésus. Il est adressé aux Juifs et aux Chrétiens et est valable en toute circonstance.
Points à éviter:
- La représentation déformée du Judaïsme biblique et post-biblique avec l’intention de surélever la Chrétienté.
- L’emploi du mot “Juif”, comme si ce mot signifiait « les ennemis de Jésus ».
- La représentation de l’histoire de la passion, comme si tous les Juifs et seulement les Juifs avaient tué Jésus. (En vérité un petit groupe de dirigeants juifs exigèrent la mort de Jésus, mais ce sont les romains qui le l’exécutèrent. Le message chrétien explique toujours que les péchés de l’humanité ont été représentés de façon exemplaire par ces dirigeants juifs et que ce sont les péchés accomplis par tous les hommes qui ont mené Jésus à la croix.)
- L’évocation de la “malédiction” décrite dans l’Ecriture lorsqu’ils ont criés » Que son Sang vienne sur nous et nos enfants ! “, sans penser que cette exclamation compte finalement beaucoup moins que les paroles de notre Seigneur, qui sont de lion plus importantes : “Père, pardonne leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font.”.
- La remarque superstitieuse: le peuple juif est né pour souffrir
- Parler des Juifs comme si les premiers membres de l’Eglise n’avaient pas été juifs.
Soutien par B’naiB’rith
Depuis le début, l’organisation internationale juive B’naiBrith a soutenu Jules Isaac dans sa vision d’améliorer les relations entre Juifs et Chrétiens. B’naiB’rith a joué un rôle décisif pour répandre au grand public les études du professeur Isaac et pour soutenir les thèses de Seelisberg. Aujourd’hui encore B’naiB’rith entretient de bonnes relations entre Juifs et Chrétiens. Ceci s’exprime par l’intéret du travail pour la fraternité oecuménique, qui continue depuis sa fondation en 1966 à s’engager pour propager les theses de Seelisberg dans les églises.
Invitation du pape Pie XII
Le pape Pie XII a invité Jules Isaac en 1949 pour discuter des parties de la liturgie catholique du Vendredi Saint. Un des thèmes fut la nouvelle traduction anglaise des mots latins dans la prière du Vendredi Saint: „pro perfidis judaeis“ traduits par “pour les juifs infidèles”. Isaac persistait dans son opinion que, bien que la nouvelle formule soit plus douce que l’original latin, ces paroles n’avaient pas son approbation. Il proposa d’éliminer la phrase, parce qu’il voulait susciter un renouveau en laissant les connotations antisémites pour ceux qui utilisaient encore la version latine.
Finalement le pape Jean XXIII a éliminé le mot “perfidis” dans l’édition latine de la Bible, ainsi que dans les éditions des langues actuelles en fonction des pays respectifs. Par la suite, il enleva encore d’autres préjugés de la liturgie et des enseignements de l’église catholique. Lors de l’audience privée en 1960, le professeur Isaac a mentionné que malgré les nombreux changements d’attitude personnelle de Catholiques envers les Juifs, l’autorité suprême de l’église n’a pas une fois pour toutes condamné publiquement les enseignements dénigrant les Juifs.
Le 2e concil du Vatican
Le pape Jean XXIII réunit les dirigeants de l’église catholique pour le deuxième concil du Vatican. La relation entre l’église catholique et le peuple juif était en première place à l’ordre du jour. A l’origine, le concil voulait établir un document autonome sur les relations avec les Juifs. Mais finalement, surtout à cause de l’intervention arabe, il a fallu ajouter à la fin du texte “Explication sur les relations de l’église envers les non-chrétiens”. Ce texte a paru en 1965 sous forme abrégée en tant que “Nostra Aetate”, alinéa 4.
Ce cadre structuré prit au dialogue judéo-chrétien le statut de « matière extraordinaire » (sui generis) et le mit dans le contexte du dialogue interreligieux. « Nostra Aetate » ouvrit la porte pour mettre le Judaïsme au rang des religions non-chrétiennes. Cette évaluation fut saluée par ceux qui voulaient remplacer la signification religieuse du dialogue judéo-chrétien par des thèmes des droits de l’homme, de la théologie libérale et des alternatives politiques, pour la politique israelienne. Les partisans de Seelisberg rendirent attentif à ce changement et insistèrent sur la nécessité d’études approfondies concernant les relations entre l’église et Israël.
Le dialogue interreligieux supplante la lutte contre l’antisémitisme
Depuis des siècles le dialogue interreligieux attire sur lui l’attention du public et supplante la nécessité la plus exigeante d’étudier les relations des juifs et des chrétiens. Les effets des négligences étaient prévisibles. Beaucoup d’églises avec une histoire ne présentent pas de programme de nos jours pour la prévention et la lute contre l’antisémitisme. Au contraire, de nombreux dirigeants ne sont souvent pas dégoûtés par des formes antiisraeliennes de théologie de substitution.
Au troisième millénaire l’antisémitisme attise les voix dans l’ église qui insiste sur l’origine juive de Jésus: né d’une mère juive, dans le pays des juifs. A la place, de nombreuses institutions ecclésiastiques expliquent que Jésus est le premier Palestinien, né d’une femme palestinienne dans un pays qui s’appelle Palestine! Comme dans les temps avant SEELISBERG et “Nostra Aetate”, la théologie de substitution apparait sous de nouveaux vêtements pseudo théologiques et est expliquée avec une iconographie. On devrait penser que de telles représentations grotesques et blessantes devraient être évitées par les dirigeants des églises; mais ce n’est pas le cas.
Il est temps de repenser à SEELISBERG. “Pour la fraternité, contre la haine” comme disait Jules Isaac est une mission sainte.
Dr. Petra Heldt a été honorée fin janvier par la Knesset (parlement israelien). Depuis des années elle soutient fortement Israël auprès des églises historiques en Terre Sainte.